Un graffiti dans les catacombes, “Et Verbum caro factum est” de Léo Labbé Rubin
- Camille Bourg
- 15 janv.
- 3 min de lecture
Les dessins qui composent cet ouvrage ont vu le jour à l’automne 2020. À ce moment-là, Léo Labbé Rubin, revenant de l’abbaye de Solesmes, devait affronter plusieurs deuils. Il y avait d’abord celui de la vie monastique, à laquelle il s’était cru longtemps appelé avant d’être brusquement contredit par l’expérience. Il y avait ensuite celui de sa meilleure amie, artiste elle aussi, dont il avait appris le décès à son retour. On imagine à quel point celui qui ne croyait pas revenir un jour dut alors être éprouvé. Tandis que les moines prient pour le monde en se tenant à sa limite, derrière une clôture, il lui faudrait, à lui, y être pleinement, et vivre de plein fouet les obsessions, les conflits, la dureté du monde. Plus encore, il lui faudrait assumer dans ce monde sa vocation d’artiste, prendre confiance en ce qu’il pourrait lui donner d’unique, en ses talents, en son éclat particulier.
Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile,
[…] demeurer en ce monde est encore plus nécessaire.
(Philippiens, 1, 22-24)
Voilà donc dans quel contexte ces dessins, aussi agités que visionnaires, sont apparus. Par leur nombre, leur variété et la facilité avec laquelle ils lui vinrent, ils confirmaient l’artiste dans sa vocation retrouvée. Mais leur existence devint vite encombrante. De par leur force d’évocation et en ce qu’ils dépassaient, doublaient sa vision propre, ils faisaient peur à leur auteur même. Ils ouvraient une porte. Mais vers quoi ? Pris de court, Léo les détruisit, et le temps aidant, parvint à la création de dessins plus tranquilles. C’est en 2024, lors de la préparation de l’exposition Et Verbum caro factum est, que cet ensemble devait s’imposer de nouveau à son esprit. Cela s’explique d’abord par la présence du verset éponyme sur l’un des dessins qui le compose, et qui deviendrait par la suite la couverture du livret. Plus encore, ces deux séquences ont en commun d’allier le texte à l’image, deux moyens d’expression que l’artiste sépare le plus souvent dans son travail, recevant l’un et l’autre dans des dispositions bien différentes. Mais c’est surtout la dimension apocalyptique de la vision dont ils proviennent qui rapproche ces ensembles l’un de l’autre. Dans les deux cas, il s’agit d’un dévoilement, d’un déchirement, d’une rencontre à travers le papier.
Cette vision transperçante, reçue dans un état limite, voilà ce qui rapproche également ces dessins des textes que saint Jean nous a laissés. Sur eux comme sur le livre de l’Apocalypse plane un interdit : la folie apparente des images, la transgression de la portée du discours, le risque de la censure et de l’exil. Mais alors que le cas de l’évangéliste est de mieux en mieux documenté, celui de Léo demeure mystérieux. Nous ne pouvons l’élucider qu’en demi-jour, à la lumière d’aujourd’hui. Là où certains pourraient voir un dessin mal assuré ou peu sûr, nous découvrons un message impérieux qui s’impose dans la détresse, et qui fait peu de cas de la technique, de la convenance ou du goût d’une époque. Et là où d’autres seraient scandalisés par la violence de la vue des stigmates et du sang, nous reconnaissons le mémorial de la Passion du Christ, sa répétition dans notre quotidien, la présence de Dieu jusque dans nos enfers. C’est dans ce qu’elle révèle de l’infaillibilité de son Amour, qui partage chaque peine et chaque épreuve de notre vie, que l’œuvre de Léo Labbé Rubin prend tout son sens, sa raison d’être et sa portée. C’est enfin là qu’elle rejoint la première lettre de saint Jean, qui révèle par les mots les plus simples « ce qui était depuis le commencement » et achève la totalité de l’Écriture en annonçant : Dieu est amour.
Camille Bourg

Il est l’image visible
du Dieu invisible une femme
au cœur de son âme
en a précieusement recueilli
l’Icône transfigurante
– Léo Labbé Rubin