Texte rédigé en septembre 2022 à l'occasion de la première exposition des œuvres de Cécile Chiron à L'Harmattan, publié avec des extraits d'un entretien conduit avec l'artiste.
Aujourd’hui, j’aimerais vous présenter une artiste dont les œuvres m’ont bouleversée : Cécile Chiron, ou Chiron, comme le centaure. Chiron, c’est une jeune femme dont j’ai découvert le travail il y a quelques mois, et qui se consacre entièrement la réalisation de calligrammes. C’est une technique qu’elle pratique en autodidacte depuis deux ans, après une longue période d’absorption et de maturation d’œuvres littéraires, et une vie entière où la lettre a occupé une place fondamentale.
C’est arrivé en une seconde. A la seconde-même où j’ai compris que je pouvais exploiter mon écriture vers cette direction, les quinze années qui précédaient ont pris sens. J’avais trente ans à ce moment-là, et ça faisait alors dix ans que j’écrivais sans savoir à quoi ça servirait, ça me semblait vain, une perte de temps. Mais à l’instant où j’ai pensé que je pouvais faire des dessins de cette écriture, j’ai eu l’impression que quelque chose de fondamental se débloquait.
Ses calligrammes, je les ai d’abord vus en ligne, en miniatures. Et puis, en les ouvrant les uns après les autres, en lisant leur titre, j’eus la sensation que le texte entier se déployait. En un coup d’œil me parvenaient les circonvolutions des poèmes de Trakl, les harmonies angéliques du Paradis de Dante, la netteté des contours de l’homme nietzschéen, et jusqu’aux fulgurances d’Antonin Artaud, son effondrement.

Conférence au théâtre du Vieux Colombier, Antonin Artaud. 2022
Encre noire sur papier, 100 x 70 cm.
Non seulement il semblait que les textes inscrits dans ces calligrammes m’étaient rendus immédiatement accessibles, mais il en allait de même pour leurs auteurs, leurs ambivalences, les subtilités de leur regard et de leur expérience du monde. Parmi eux, il y en avait dont j’ignorais jusqu’à l’existence-même. Pourtant il me semblait pouvoir observer la cause première de leurs œuvres, certains obstacles aussi, avec une précision qui me donnait la certitude de les connaître un peu, désormais.
Du bist in tiefer Mitternacht, Georg Trakl. 2022
Encre noire sur Fedrigoni Pergamenata, 70 x 50 cm.
Ces œuvres étaient données. Les lignes qui les portaient révélaient leur sens, leurs qualités, leur nécessité. La simplicité de leurs formes triomphait de toute difficulté conceptuelle, et l’évidence imprégnait le papier, centrifuge.
Le Prophète, Gibran. 2022.
Encres noir et or sur papier, 50 x 50 cm.
Par la suite, Chiron m’invita dans son atelier et j’eus la chance de pouvoir observer ses calligrammes de plus près. Il est fréquent qu’elle passe plusieurs dizaines d’heures à écrire un même texte. Pourtant, la rondeur de son écriture sublime toute notion d’effort. Et cette écriture, avec ses ondulations et ses boucles adorables, la souplesse de ses rebonds, elle ne semble jamais se lasser de rien, comme s'il y avait, dans la minutie de chacune de ces lettres, quelque chose de l’ordre d'un amour inépuisable.
Les lire pour moi, ce n’était plus assez. Il s’agit de textes qui ont été si importants, qui m’ont tellement faite, que les lire et les aimer, ce n’était plus assez. C’est une façon de les remercier. Ça me rend heureuse de le voir comme ça.
Les calligrammes de Chiron m’ont tous permis de découvrir quelque chose et de rencontrer une pensée, si ce n’est une personne, pour la première fois. Il ne s’agit pas de la simple adaptation d’un texte. L’œuvre devient présence, dialogue, expérience vécue.
C'est par l’image, capteur d’absolu, que le calligramme opère une liaison. Il permet un passage, une circulation du concept à la forme et des yeux vers le cœur. Il est, selon l'intuition de Tarkovski, un instrument de connaissance dans un cheminement vers la vérité.

Livre de Jonas, 2022.
Encre indigo sur Pergamenata, 70 x 100 cm.
❊
Au moment où j'ai écrit ce texte, Cécile Chiron préparait ses premières expositions à Paris et Agen. Depuis, son travail a fait l'objet de plusieurs expositions, notamment au Collège des Bernardins et à la galerie Maxime Lancien. Elle a récemment participé à la Nuit Blanche de Paris, également aux Bernardins. Avec l'École des Beaux-Arts de Lyon, elle fait des recherches sur l'utilisation de l'écriture dans l'art, et en particulier son utilisation par les peintres.
Pour consulter son travail :